Financiarisation et travail en équipe : les déliaisons dangereuses

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« Il y a plusieurs modèles de rémunération des médecins ; certains sont bons et d’autres mauvais. Les trois pires sont le paiement à l’acte, la capitation et le salaire. » James C. Robinson

Le SYFMER vous présente ses meilleurs vœux pour 2024. Un flottement dans les politiques de santé frappe les observateurs. A l’heure où reprennent les négociations conventionnelles, la capitation est promue explicitement au sommet de l’Etat. En établissements, quand vont être réattribuées les autorisations en SMR, jamais la stabilité des revenus et la possibilité de financer de nouveaux projets en MPR n’a été si incertaine face aux nouveaux modèles de financement et à l’indigence des conditions de fonctionnement. Le pilotage vise la réduction des dépenses mais semble dépourvu de cap précis, favorisant la financiarisation tout en affirmant promouvoir un accès aux soins coordonnés. Mais le champ de la réadaptation reste occulté.

  1. 2024, année des nomenclatures et des réformes du financement des soins

La reprise des négociations conventionnelles s’accompagne de la poursuite des travaux sur la refonte de la CCAM. Par ailleurs, les pouvoirs publics poussent la multiplication des forfaits, nom français de la capitation où une enveloppe annuelle est attribuée pour un certain nombre de patients et pour certaines missions notamment en soins primaires (prévention, coordination…). Lire l’article de Pierre-Louis Bras

Comme le suggère la littérature résumée par la citation introductive, aucun système n’a fait la preuve de sa supériorité. Le paiement à l’acte (ou à la prestation) induit une meilleure productivité lorsque les professionnels sont rares mais peut inciter à la production de soins inutiles s’ils sont trop nombreux.

La capitation peut inciter à une prise en charge plus globale mais aussi à réduire le nombre de consultations par patient, de même que les soins les plus couteux. La principale critique de la capitation est qu’elle repose sur une évaluation technique des « besoins de santé » qu’elle prétend dès lors financer à partir d’un groupe d’experts qui l’impose d’en haut. La capitation est compatible avec un exercice libéral de la médecine contrairement au salaire. Si les pouvoirs publics la préfèrent, c’est parce qu’elle permet un contrôle plus aisé des enveloppes globales que le paiement à l’acte (Dormont). Il faut bien distinguer la rémunération des médecins et celle des soins, comme dans le cas d’un centre de santé payé à l’acte, mais où les professionnels sont salariés. Voir ce diaporama CNAM du 2ème focus sur le travail en équipe (PEPS).

Il est vrai que le paiement à l’acte est tributaire des limites des nomenclatures.

La NGAP médicale et paramédicale ne dit rien de la pertinence des soins, des temps et coûts réels de réalisation des actes. Face à la stagnation des tarifs elle multiplie les pratiques d’optimisation. A cet égard la nouvelle nomenclature de kinésithérapie liée à l’avenant n°7 ne fait pas exception avec une segmentation étio-pathogénique et curative qui n’est reliée ni à la CIM, ni à la CIF, ni aux autres nomenclatures de santé.

La CCAM reste pléthorique et favorise les disciplines à fort taux d’actes techniques. La réforme risque de continuer à sous-valoriser tout travail intellectuel de concertation, de coordination et d’orientation dans les parcours complexes.

Pour autant la participation soutenue de la MPR à ces travaux est indispensable et Georges de Korvin assure avec constance et efficacité la coordination entre SYFMER et Avenir SPE. Un document spécifique pour la MPR a été adressé à la CNAM et un groupe dédié à la MPR existe pour la réforme de la CCAM. Pour la NGAP il s’agit d’obtenir des niveaux de consultations conformes à la complexité de nos interventions et de mettre à jour certains actes fréquents en MPR mais mal identifiés et/ou insuffisamment valorisés. Ces nomenclatures impactent aussi les établissements : actes et consultations externes et actes classants en SMR.

Le CSARR conserve des vices congénitaux. Il ignore le périmètre international de la réadaptation, par des interventions qui relèvent soit de la prévention, soit des soins curatifs, soit des soins de bien-être voire de pratiques cliniques non validées. Il est dépourvu de toute garantie sur la pertinence des soins. Le système des pondérations est une incitation délétère à l’optimisation financière du codage. Si la réforme en cours du CSARR fondée sur la CIF peut améliorer la situation, il reste incapable de définir des groupes reliés aux besoins de réadaptation. Celle-ci reste le chaînon manquant des politiques de santé qui toutefois émerge dans l’instruction du 28 septembre 2022.

Enfin, les groupes économiques de réadaptation au séjour en HC et à la semaine en HTP ne peuvent, du fait du CSARR, capter les besoins de réadaptation. Au regard des comparaisons internationales, nous avons montré que seul un financement à la séquence fondé sur les missions principales définies par l’instruction du 28/09/2022 (poursuite de soins curatifs, réadaptation et soins de transition) permettrait une part raisonnable de paiement par cas. Le CSARR réformé pourrait rester utile lors des ENCC et pour une part de paiement à la journée pondérée à l‘activité

  1. 2024, année des restructurations

De nombreux collègues nous sollicitent face aux restructurations qui accompagnent les GHT sans qu’une dynamique unique puisse y être reconnue.

  • La logique financière est importante mais elle est loin d’être la seul Les impacts financiers de la réforme restent encore très incertains. Certains établissements sous DAF y voient encore l’opportunité de réduite l’activité ou les effectifs SMR sans réduction de leur dotation.
  • Les stratégies de filières se résument à « faire (internaliser) ou faire faire (externaliser) » les prestations de SMR, liées à l’organisation locale de l’aval.
  • Les logiques de réduction du capacitaire, des effectifs et des locaux induisent des phénomènes de concurrence entre projets et priorisations
  • Ces logiques sont divergentes dans des établissements mixtes MCO + SMR ou SMR autonomes.

Le SYFMER envisage une enquête afin de préciser les tendances observées dans les futures structures de MPR-SMR système nerveux et appareil locomoteur.

  1. 2024, année des programmes de réadaptation

Alors que l’Assurance-Maladie a tenté de développer des « parcours de soins coordonnés », il est étonnant que « l’accès direct », initialement promu par les médecins spécialistes libéraux voulant échapper à l’adressage par les généralistes, ait servi de slogan pour démultiplier l’exercice en silo des paramédicaux libéraux.

Plutôt que de mettre l’accent sur la notion de partage des tâches et de travail en équipe au sein d’une organisation disposant de protocoles soutenant un exercice coordonné et un parcours mieux intégré, et alors même que les pouvoirs publics tentent de favoriser le développement des forfaits dans l’espoir qu’une forme de capitation partielle incite à regrouper les professionnels en exercice isolé, la loi Rist a mis l’accent sur « l’exercice de l’art sans prescription médicale ». Il vise explicitement l’accès direct à un remboursement d’actes. Ceux-ci devront s’appuyer sur des nouveaux éléments de nomenclature en faveur du paiement « en silo » des professionnels.

L’accès direct à la française est antinomique avec la recherche de la coopération interprofessionnelle notamment dans le champ de la réadaptation. La porte est ouverte à la multiplication des structures financiarisées en soins primaires comme en soins spécialisés. La coordination passe au management lui-même asservi à des logiques financières, que le financement soit public ou lié à des fonds d’investissement. Les évolutions sont soutenues par un expérimentalisme bureaucratique (article 51 de la LFSS 2018) dont les résultats ne sont jamais évalués.

En conclusion, si nous avons évoqué les limites de la capitation et des système de forfaits qui en font la promotion en France, si nous soutenons l’absolue nécessité de revaloriser les tarifs liés à la NGAP et la CCAM sans méconnaître leurs limites, nous soutenons que la MPR ambulatoire et hospitalière doit être valorisée par un financement regroupé par programmes de soins, centrés sur des objectifs précis, s’adressant à des profils de patients homogènes en termes de besoins de réadaptation et de coûts qu’il faut dès lors être capable d’analyser en ville comme en établissement.

La solution ne réside pas dans un « virage hospitalier » du champ de la réadaptation favorisé par la sous-valorisation des prises en charge longues et complexes en ville, face à l’open bar dans la construction de journées d’hospitalisation de jour de SMR voire d’e-HDJ financiarisées, au détriment d’HDJ plus pertinentes.

Entre l’absence de forfaits de réadaptation en ville et face à une T2A inadaptée en SMR, la MPR ne peut survivre qu’en multipliant l’émargement aux compartiments annexes. Il convient de développer une démarche organisationnelle et financière commune, dans la perspective d’une réponse populationnelle et gradée en MPR.

La prescription médicale recule dans son rôle de coordination de la qualité et de la sécurité des soins, en ville comme en établissement. L’amendement Valletoux à la loi RIST laisse planer une menace de désintégration des interventions de réadaptation en établissements et d’asservissement à l’ingénierie financière. La MPR doit s’insérer dans les dispositifs existants (CPTS, équipes de soins spécialisées), en lien avec les soins primaires, l’application de la loi RIST suppose une adaptation des pratiques de coordination à l’aide de la formalisation des programmes de soins.

Si la MPR en établissement dépend des dynamiques de restructuration évoquées plus haut, en secteur libéral elle dépendra de sa capacité à développer une coordination à base territoriale. En MPR les installations en secteur libéral ont dépassé le nombre des départs en retraite.

EMPR 2024 : Forum des pratiques professionnelles « accès direct et exercice coordonné » le 28 mars 2024

Appel à cotisation 2024